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samedi 26 février 2011

Action directe, les années sanglantes, pour ceux qui auraient oublié

Terrorisme: la poudre et l'allumette



Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, deux chefs de file du groupe armé d'extrême gauche Action Directe (photo non datée)



1982.
L'Express consacrait un article à la résurgence de groupes comme Action directe (lien Wikipedia), avec l'aide d'un historien, Xavier Raufer, auteur d'un livre où il donnait de nouvelles perspectives sur le terrorisme.

Le 27 mai, au début de l'après-midi, une voiture roule à très (trop?) vive allure sur l'autoroute A1 en direction de Paris. Près de la sortie de Compiègne (Oise), son conducteur en perd le contrôle; embardée, tête-à-queue, tonneaux, le véhicule termine sa course folle contre le bas-côté droit. A bord de l'épave, une passagère grièvement blessée, Nathalie Ménigon, 25 ans.

Pour la police, elle n'est pas une inconnue. Pasionaria du groupe Action directe, elle a participé, au côté son compagnon Jean-Marc Rouillan, à diverses opérations de ce réseau terroriste dont il est le leader.

Libérée, le 17 septembre 1981, pour raison médicale, elle est venue occuper un immeuble du quartier de la Goutte-d'Or (Paris XVIIe), "squattérisé" au profit d'immigrés turcs.
Au moment de son accident, elle revenait de Belgique avec un stock de 15000 affichettes appelant à une "manifestation armée" contre la venue du président américain Ronald Reagan au Sommet de Versailles : une silhouette en tenue de combat brandissant un pistolet-mitrailleur. L'appel est signé Action directe. Il dit: "Le terroriste Reagan, voyageur de l'impérialisme U.S., ennemi des peuples, doit être accueilli par la haine, devant des poings levés et des armes chargées."

Détail important: ce texte est rédigé en français, en turc et en arabe, tout comme le tract de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (Farl) diffusé, le 7 avril dernier, par des militants d'A.d., tract qui revendiquait l'assassinat quatre jours plus tôt du diplomate israélien Yaakov Barsititllatov.

La résurgence d'un tel groupe risque de démentir l'analyse rassurante des autorités françaises [PS]. A la recrudescence du terrorisme international, contre lequel il tient de véritables conseils de guerre depuis le sanglant attentat de la rue Marbeuf (22 avril 1982 - lien Wikipedia vers les attentats meurtriers en France), le pouvoir socialiste oppose souvent la baisse des violences politiques d'origine intérieure, une baisse de 40 %.

Distinguo simpliste aux yeux d'un observateur professionnel comme
Xavier Raufer. Exerçant dans l'enseignement supérieur privé, cet historien de 36 ans, qui a longtemps animé l'étude des mouvements révolutionnaires à l'Institut d'histoire sociale, publie cette semaine le fruit de ses travaux: Terrorisme: maintenant la France? (Editions Garnier). Au moment même où se tiennent à l'Institut de criminologie de Paris les Journées d'étude sur le terrorisme.

Raufer se méfie du terme trop générique de terrorisme, qui masque la hiérarchie réelle des périls guettant notre société. Ainsi la diminution des attentats à l'explosif depuis le 10 mai 1981 n'est-elle due qu'à la trêve corse, alors que l'actualité montre une tendance à la radicalisation de l'extrême gauche, bien plus dangereuse sur le plan national.

A l'
escalade de la violence banalisée (on est passé en vingt ans du cocktail Molotov au lance-roquettes) s'ajoute une dimension internationaliste: "la recherche d'une classe ouvrière de substitution". D'où interactions entre terrorisme importé et terrorisme indigène, des attentats d'origine étrangère provoquant, par contagion, l'émergence de structures de guérilla urbaine sous couvert de lutte anti-impérialiste.

"Voilà le péril majeur, nous dit Raufer. D'un côté, des viviers de jeunes ballottés entre le chômage et les emplois précaires, dépourvus de toute perspective, se constituent à la périphérie des grandes villes : c'est le tonneau de poudre. Et, de l'autre, la boîte d'allumettes : ces groupuscules - heureusement fort réduits, et jusqu'ici efficacement marqués par la police - qui se veulent des partis communistes combattants, en lutte armée contre leur propre Etat."

Paradoxe souligné par Raufer: c'est en France qu'a été théorisé le recours aux armes en démocratie, alors que notre pays s'est trouvé épargné plus longtemps que nos voisins. En 1963, l'ex-avocat du F.L.N. algérien Jacques Vergès est le premier à formuler la doctrine du "pouvoir au bout du fusil", qui sera intellectualisée par le philosophe Louis Althusser et popularisée par les groupes "maos" avec la caution de Jean-Paul Sartre, légitimant la violence au service des "bonnes causes".

Ces groupes se tiennent à l'écart du "happening" de Mai 1968 pour fonder, sur ses décombres,
la Gauche prolétarienne (G.P., militants marxistes-léninistes à l'origine nanterriens, Hauts-de-Seine - lien Wikipedia), puis constituer son bras armé, la Nouvelle Résistance, premier embryon d'un parti communiste combattant. A son apogée, en 1970-1971, l'ex-G.P. passe très près de la lutte armée : rapts du député gaulliste Michel de Grailly et d'un cadre de Renault [Georges Besse, cf. libellé, ci-dessous], etc.

Mais, au dernier moment, un sursaut moral retient les "maos" de basculer de l'action symbolique à la violence meurtrière. Refusant de "se substituer aux masses", ils vont se disperser dans des militantismes sectoriels: dans l'écologie, le féminisme, l'antipsychiatrie, la défense des prisonniers et des droits de l'homme, la fondation du quotidien Libération, etc.

Pourquoi cette autodissolution ? D'abord, leurs guides intellectuels ont, après la phase initiale de fascination, joué un rôle salutaire de garde-fou. Ensuite, la dénonciation des « méthodes fascistes » de l'O.A.S. était encore présente dans tous les esprits.

Enfin, deux faits ont contribué à bloquer l'engrenage terroriste: une rencontre avec
Andréas Baader (lien Wikipedia vers le groupe terroriste "la bande à Baader"), qui apparut aux responsables "maos" français comme un dangereux psychopathe; et le massacre des athlètes israéliens aux Jeux de Munich, en septembre 1972.

Mais, au moment précis où les "maos" français renoncent à suivre les modèles italien et allemand, des rescapés de réseaux antifranquistes catalans créent dans le midi de la France des Groupes d'action révolutionnaire internationalistes (Gari), qui, de février à juillet 1974, vont perpétrer une dizaine d'attentats, de rapts et surtout de hold-up. Avec une telle maladresse que la police rafle la dizaine d'activistes - dont J.-M. Rouillan déjà - qui forment l'équipe dirigeante.

Une troisième tentative n'aura guère plus de longévité: celle des Noyaux armés pour l'autonomie populaire (Napap), fondés, en 1977, par les laissés-pour-compte de l'ex-G.P. surnommés les "veuves maos". En neuf mois, une douzaine d'arrestations met fin à une série d'actions non sanglantes commencée pourtant par un meurtre: celui d'un vigile de Renault, Jean-Antoine Tramoni, lui-même meurtrier du militant "mao" Pierre Ovemey.

Deux ans plus tard, les rescapés des Gari et des Napap, forts de l'expérience de la clandestinité, fusionnent dans Action directe. Les "branquignols" font place à du professionnel, les intellectuels de l'ex-G.P. à des militants au profil plus fruste, mais aussi plus proche de celui des brigadistes italiens et des desesperados allemands.

De 1979 à 1981, Action directe ne revendique pas moins de vingt attentats immobiliers et financiers: la revendication devient plus importante que l'acte lui-même, encore que le butin des différents hold-up dépasse les 100 millions. La logistique se développe : pas moins de quarante planques d'armes et de faux papiers, de caches pour fugitifs dans la seule région parisienne. Les connexions internationales aussi.

Pratiquement démantelés en 1980, les groupes d'Action directe se sont reconstitués depuis l'automne de 1981 en véritables noyaux armés branchés sur les filières terroristes de Beyrouth. Ils transforment les "squats" en une sorte de "piste Hô-Chi-Minh", à mi-chemin entre délinquance et politique.

Plus d'encadrement intellectuel, de garde-fou, plus d'issues non plus, de solutions de repli dans une société dont les capacités d'intégration se sont affaiblies. Mais un isolement croissant, avec, à terme, une menace complémentaire : celle de voir la décomposition d'une structure de ce type fournir, cette fois, des mercenaires aux groupes internationaux, style Carlos, pour lesquels la France a cessé d'être un sanctuaire.

Menace qui n'a rien de fatal: il est encore temps, selon Xavier Raufer, d'enrayer la formation d'un parti communiste combattant. A condition de la prendre au sérieux et de ne pas se tromper d'adversaire.

(Article de L'Express, par Jacques Déroguy, publié le 11/05/1982)

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